Commentaires de la Fédération des médecins spécialistes du Québec sur le projet de loi no 56, Loi visant à reconnaître et à soutenir les personnes proches aidantes et modifiant diverses dispositions législatives.

PAR COURRIEL

Le 5 octobre 2020
Madame Lucie Lecours Présidente
Commission des relations avec les citoyens Édifice Pamphile-Le May
1035, rue des Parlementaires, 3e étage Québec (Québec)
G1A 1A3

Madame la Présidente,

La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) remercie la Commission des relations avec les citoyens de lui donner la possibilité de soumettre ses commentaires sur le projet de loi no 56, Loi visant à reconnaître et à soutenir les personnes proches aidantes et modifiant diverses dispositions législatives.

La FMSQ regroupe 59 spécialités médicales représentant plus de 10 000 médecins spécialistes de toutes les disciplines médicales, chirurgicales et de laboratoire.

Avant la COVID-19, tous les jours, des proches aidants accompagnaient des patients à l’hôpital, en clinique ou en CHSLD. Bien souvent, ils sont les premiers partenaires des médecins spécialistes, ils jouent un rôle essentiel dans la réussite d’une thérapie et le rétablissement optimal d’un patient, notamment en veillant à l’observance de sa médication. Grâce à cette précieuse collaboration, les médecins spécialistes sont bien placés pour reconnaître le rôle fondamental des proches aidants dans le réseau de la santé au Québec.

Nos membres sont aussi à même de constater de quelle façon la pandémie de COVID-19, les règles de distanciation et le confinement ont été particulièrement difficiles pour les proches aidants et leur famille.

Plusieurs ont vécu durement ces événements. Ils se sont sentis démunis devant l’anxiété de la personne aidée, tenaillés par la crainte de contaminer cette personne vulnérable, angoissés devant l’obligation de s’en distancer au plus fort de la pandémie. À l’heure où la deuxième vague redoutée est arrivée, il est important de mesurer le rôle de ceux qui aident et de les aider à aider.

Les patients se sentent démunis et ne comprennent pas toujours les consignes qui sont données lors des visites médicales. Le rôle du proche aidant devient à cet égard un incontournable à l’optimisation de chaque épisode de soins.

Depuis longtemps, la FMSQ a à cœur le soutien aux proches aidants. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons mis en place la Fondation de la FMSQ, en 2012. Cette fondation a comme mission d’améliorer de façon très concrète la vie des proches aidants au Québec, notamment ceux qui soutiennent un proche souffrant d’une incapacité liée à une maladie permanente ou dégénérative, ou à un handicap. Par l’intermédiaire de la Fondation, les médecins spécialistes soutiennent plus de 315 projets à travers le Québec, ce qui représente une contribution de près de 7 M$ depuis sa mise en place.

Nous avons donc suivi avec intérêt le dépôt du projet de loi no 56, que nous appuyons de façon générale. Il constitue un pas significatif en faveur d’une meilleure reconnaissance de la réalité des proches aidants et renforce de manière pertinente l’appui qui leur est apporté. Cependant, nous croyons que le gouvernement peut et doit en faire davantage, comme nous l’exposerons dans les lignes qui suivent.

Un projet de loi qui cible les bonnes priorités

La FMSQ salue l’annonce de la Politique nationale sur les personnes proches aidantes, qui énonce dans ses deux premiers principes directeurs « l’apport considérable des personnes proches aidantes » et la nécessité de « favoriser la préservation de la santé et du bien-être des personnes proches aidantes ». Cette Politique engage le gouvernement dans une démarche de soutien s’annonçant plus structurante que les actions à la pièce du passé. Elle forme un tout cohérent et démontre l’importance de la proche aidance comme modèle social au Québec.

La FMSQ estime que les orientations de cette Politique sont pertinentes et trouvent écho à certaines suggestions que nous avions communiquées à la ministre des Aînés et des Proches aidants, Madame Marguerite Blais. En effet, nous avions insisté

notamment sur la nécessité de développer la formation des proches aidants pour qu’ils puissent mieux collaborer avec le personnel médical et, réciproquement, la formation du personnel médical pour qu’il comprenne mieux la réalité des proches aidants.

Cette suggestion de la FMSQ se retrouve, du moins en partie, dans les orientations de la Politique nationale. De la même manière, la FMSQ est satisfaite qu’une Semaine nationale leur soit désormais consacrée, contribuant ainsi à démystifier leur rôle et leur apport sociétal. Nous espérons tout de même qu’au-delà de cette Semaine, une véritable campagne de sensibilisation de la population sur le rôle et la réalité des proches aidants sera déployée et qu’une ligne téléphonique de soutien sera prévue à leur intention.

La FMSQ juge pertinente l’approche des plans d’action quinquennaux. Nous saluons l’engagement de reddition de compte publique pour prendre la juste mesure des progrès et des besoins en la matière. De même, nous saluons la formation d’un comité des partenaires concernés par le soutien aux personnes proches aidantes, qui fera des recommandations au gouvernement pour la mise en place de la Politique et la qualité de l’accompagnement des proches aidants.

Une omission de taille : les soins à domicile

Si la FMSQ appuie dans l’ensemble le projet de loi no 56, nous notons toutefois une omission de taille. Les proches aidants sont à bout de souffle, parfois dépassés par l’ampleur de leur engagement. Le projet de loi évoque la nécessité de protéger leur bien-être. Que le gouvernement annonce la création d’un observatoire québécois de la proche aidance et d’un comité de partenaires concernés par le soutien aux personnes proches aidantes, nous ne pouvons qu’être d’accord, mais la FMSQ s’étonne que le projet de loi no 56 ne comporte aucune mention explicite de l’un des premiers leviers à activer pour faciliter la vie aux proches aidants.

En effet, le projet de loi passe complètement sous silence la nécessité de développer les soins à domicile, un volet pourtant essentiel pour les proches aidants qui prennent soin d’un conjoint, d’un parent ou d’un enfant malade.

Il s’agit pourtant d’un moyen concret et incontournable pour soulager les proches aidants, mieux les appuyer et mieux les accompagner. À défaut d’établir formellement

la relation de continuum entre la proche aidance et les soins à domicile, la FMSQ craint que le projet de loi no 56 n’atteigne pas son objectif principal, qui est la reconnaissance des proches aidants. Ou, pire qu’il ne dépasse pas le stade des bons mots et de l’encouragement.

Des projets pilotes de technologies médicales à domicile

En outre, la FMSQ voudrait que le projet de loi soit plus précis sur les enjeux de formation. Nous avons déjà évoqué la pertinence de former les proches aidants et le personnel médical sur la réalité des uns et des autres. Mais plus encore, le gouvernement devrait lancer des projets pilotes visant l’intégration de technologies médicales pour faciliter le travail des proches aidants. La gamme d’outils technologiques pouvant être utilisés à domicile à des fins de traitement et de suivi ne cesse de s’élargir. Les possibilités sont multiples et les avantages pour les proches aidants et la personne aidée peuvent être considérables. Cette notion de projets pilotes de formation en technologie médicale à domicile devrait être incluse dans les plans d’action quinquennaux.

La FMSQ croit qu’il faudrait favoriser l’échange et le partage d’informations entre les proches aidants. Un portail web comportant des informations utiles sur les ressources qui leur sont offertes, les organismes de leur milieu et leurs droits serait un outil pertinent qui contribuerait aussi à briser leur isolement.

Par conséquent, nous croyons que le législateur aurait tout intérêt à préciser des orientations claires en matière de soins à domicile. À ce sujet, plusieurs exemples de règlementations, municipales notamment, empêchent le maintien à domicile et interdisent même les maisons multigénérationnelles.

Il s’agit là d’un frein majeur au développement d’un espace de vie adéquat et au maintien à domicile, l’aidé et sa famille devant alors se tourner vers des maisons de soins beaucoup plus onéreuses, tant pour l’État que pour la famille, ou encore vers des ressources communautaires qui ne sont pas pérennes.

Des agents de liaison dans tous les établissements

Dans le but de faciliter la vie des proches aidants et leur aidé, nous suggérons au ministre de la Santé la création d’agents de liaison dans tous les établissements du Québec. Leur rôle serait de faciliter la navigation entre les différentes offres de services et organisation de prise en charge. Ces agents de liaison auraient une tâche orientée sur le service à la clientèle. Ils aideraient le proche aidant, selon ses disponibilités, à prendre en charge les soins du patient. En tenant compte des contraintes du proche aidant, la pression sur le réseau serait allégée puisque le patient serait plus souvent accompagné. L’autonomie ainsi donnée à ce partenariat aidant-aidé diminuera certainement les besoins non prévus en soins à domicile, ces derniers étant d’ailleurs limités par rapport aux besoins réels.

Soutien financier à améliorer

Au-delà des mesures prévues au projet de loi, la FMSQ est d’avis que le gouvernement devrait se pencher rapidement sur les besoins financiers des proches aidants. Trop souvent, les crédits d’impôt et les subventions en place ont un impact limité, compte tenu des critères pour y avoir accès.

Une révision des mesures gouvernementales devrait être effectuée de concert avec l’ensemble des ministères impliqués, afin de s’assurer que les proches aidants et leur famille reçoivent le soutien financier nécessaire à l’accomplissement de leur rôle.

À ce sujet, la FMSQ recommande au gouvernement de réévaluer l’apport financier offert au proche aidant et d’en simplifier l’accès. Elle suggère également d’éviter la multiplication de petits programmes gouvernementaux ou fiscaux qui sont complexes et couteux à administrer. La FMSQ a d’ailleurs déjà proposé la création d’un guichet unique à l’échelle québécoise, qui rassemblerait tous les outils administratifs pertinents.

L’action de la Fondation de la FMSQ nous permet de constater l’ampleur des besoins financiers des organismes communautaires et de répit à travers le Québec. Nous recevons plusieurs témoignages qui démontrent la grande place que les fondations occupent dans leur financement. En voici deux exemples :

« La contribution exceptionnelle de la Fondation de la FMSQ est inestimable pour les proches aidants. Elle permet de soutenir les proches aidants, de maintenir un équilibre certain, de prendre un petit recul afin de mieux poursuivre l’engagement envers la personne aidée et de lui prodiguer les soins nécessaires dans leur lourde tâche. La contribution de la Fondation permet aux proches aidants de ne pas constamment être à bout de souffle, épuisés, isolés et vulnérables. »

Suzanne Girard, présidente et directrice générale Association des proches aidants de la Capitale-Nationale

« Compte tenu de la générosité de la Fondation de la FMSQ dans les années passées, nous avons fait appel à la Fondation pour le projet de PhilouINN, un service destiné “aux parents”, en enlevant un poids considérable chez les familles pour qu’elles puissent reprendre leur souffle. Le Centre Philou, c’est non seulement un milieu de vie spécialement adapté aux besoins des enfants polyhandicapés, mais c’est essentiellement le prolongement de la famille. La Fondation de la FMSQ contribue à faire une réelle différence auprès des parents en soutenant notre service de répit 0-15 ans pour ainsi nous permettre d’offrir des séjours de répit additionnels. Nous la remercions grandement pour cet appui inestimable. »

Diane Chênevert, C.Q., M.S.M. Fondatrice et directrice générale, Centre Philou

Nous sommes toujours heureux de constater les impacts positifs de l’implication de la Fondation. Cela démontre aussi que l’État doit jouer un plus grand rôle. La FMSQ souhaite que le gouvernement bonifie et stabilise le financement des organismes qui œuvrent dans le domaine, et ce, sur une base pluriannuelle, afin de pérenniser les activités de ces organisations.

Conclusion

En résumé, le projet de loi no 56 reflète une volonté réelle d’engager l’État québécois dans un meilleur soutien aux proches aidants. C’est une première, et nous nous en réjouissons.

La FMSQ appuie donc l’adoption du projet de loi. Cependant, nous estimons que le gouvernement pourrait mettre en place certains leviers supplémentaires pour atteindre ses objectifs, et qu’il doit le faire rapidement.

Je vous remercie à nouveau, Madame la Présidente, ainsi que les membres de la Commission, pour l’attention accordée à la présente et tiens à vous assurer de notre entière collaboration. Nous répondrons à toute question ou demande d’information complémentaire avec plaisir.

Veuillez agréer, Madame la Présidente, mes meilleures salutations. La présidente,

Diane Francoeur, M.D., FRCSC, MCHM

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